Histoire d'un routier du XIVème siècle dans le Cantal
Posté : dim. nov. 17, 2019 6:37 pm
Une vieille nouvelle que j'ai imaginée il y a pas mal de temps. Ceci est une histoire tirée d'éléments bien réels. Bonne lecture. Et désolé d'avance pour les fautes. J'ai retrouvé cet écrit dans mon déménagement.
Mérigot passait machinalement son gantelet sur l’encolure de son cheval. C’était une belle fin d’après-midi printanière. Le vent, pareil au toucher rare et délicat d’un drap de soie venait s’engouffrer dans la vallée cantalienne de Brezon qu’il dominait et lui apportait un sentiment de plénitude grisant.
Son tabard patiné et crasseux reposait sur une cotte de mailles légère et laissait encore entrevoir les armoiries du seigneur de Charlus-Marchès et du limousin. Fils d’Emery de Marchès et de Marguerite d’Ussel, il avait été aux services des messires Thomas de Roux et Goussiers Hélias comme écuyer dès l’âge de dix ans.
En cette époque troublée, ils lui avaient enseigné l’art de monter à cheval, de manier la lance et l’épée et de haïr le royaume de France et son roi Charles V. Le limousin était alors contesté et était proche voisin de la Guyenne sous domination anglaise. Mérigot avait donc tôt fait de prendre le parti du royaume d’Angleterre.
Son visage était jeune mais déjà creusé et marqué par des années de lutte pour la survie. Bien que d’ascendance noble, sur les vingt huit années de son existence, les dix dernières avaient été si intenses qu’il semblait déjà avoir vécu plusieurs vies.
Il esquissait un léger sourire en coin en y repensant. Il tourna la tête et jugea sa troupe de son regard habituel; déterminé et affichant une confiance hautaine et absolue. La dizaine d’homme qui se tenait derrière lui formait une bande de dépravés, sans aucune forme de cohérence. Ils étaient tantôt vêtus d’une cotte, d’une simple tunique, de capuchon mités et pour les plus riches d’entre eux, de pièces d’armures disparates et autres bassinets et barbutes défoncés. Des pillards, des violeurs, des menteurs et des opportunistes. Ils étaient sa famille, sa route, et ce dont il était le plus fier.
Quelques années auparavant, il avait combattu comme capitaine à la tête de chevaliers limousins et de mercenaires à la solde de la couronne d’Angleterre. Il excellait dans la stratégie militaire et tout particulièrement dans l’art de la ruse pour capturer des places fortes et combattre des formations bien supérieures en nombre. Il avait ainsi fait de belles prises comme le château de Mercoeur de la comtesse Dauphine près d’Ardes.
Jusqu’à ce jour où un émissaire était venu du nord annonçant la trêve de Leulinghem entre Richard II et Charles VI. Ses hommes et lui s’étaient alors retrouvés démobilisés et les objectifs militaires s’étaient vite transformés en quêtes d’or et de gloire pour leur propre compte. C’est alors qu’il avait pris la décision de former sa propre compagnie de routiers et d’écumer et semer la terreur en Limousin et Haute-Auvergne, désobéissant ainsi au roi d’Angleterre en refusant de cesser les combats et de restituer les places conquises. Depuis ces fortins, ils pouvaient mener des raides rapides et dévastateurs et réclamer des pactis en échanges de la protection des populations soumises à leur autorité.
Il avait resserré l’emprise sur ses rênes en repensant à cette période exaltante. Il regardait ses hommes s’affairer autour d’un barrage de fortune qu’ils avaient construit de toute pièce. Ils terminaient de renforcer les étais qui maintenaient la structure en place, empêchant l’eau de la rivière de se répandre. Gauthier, son plus fidèle lieutenant donnait ses instructions. Il avait toutes les difficultés à s’exprimer depuis qu’une masse d’arme lui avait fracassé la mâchoire l’année passée, lui laissant systématiquement la bouche entrouverte comme un chien balafré prêt à mordre. Il était comme un frère pour lui. Il lui rappelait Geoffroy tête noire, le plus habile et le plus admirable des chefs routiers qu’il avait rencontré. Doté d’une force incroyable, il avait déjà vu la « testa negra » fendre un homme en deux avec son espadon. Il avait également vu quelles richesses impensables le routier avait rassemblé grâce à ses rapines. Geoffroy avait d’ailleurs tout appris à Mérigot; par exemple, capturer un chevalier ou une noble dame était l’assurance d’obtenir une bonne rançon. Puis un jour de 1378, un carreau d’arbalète avait mis un terme à sa vie dans son fief de Ventadour en Corrèze. C’était ainsi pensa-t-il, la vie d’un routier était souvent courte mais c’était aussi une vie sans barrières, sans limite qu’on ne pouvait se permettre de franchir. En fait, aucune règle ne prévalait en dehors de la force et du poids de l’or.
Mérigot descendit de cheval et vint s’assoir sur le rebord de la falaise. Balançant ses pieds dans le bruit métallique que produisaient ses éperons, il conservait ce même sourire insolent en observant la petite forteresse à flanc du roc juste sous sa position quelques mètres plus bas. Il prenait plaisir à se remémorer les évènements passés.
-Mérigot! la voix gutturale de son lieutenant le tira de ses rêveries. Les hommes sont à tes ordres, tu n’as qu’un mot à dire.
-Allez-y prestement, répondit-il. Son rictus était devenu sinistre.
***
Amblard de Brezon, descendant de la puissante lignée des seigneurs de Brezons observait les deux cavaliers qui remontaient le petit chemin de pierre empruntant la vallée avant de remonter le long de la montagne et qui menait directement à son château de la Roche-Servière. De ce fief semi-troglodytique et imprenable, il avait su affirmer sa position de seigneur le plus riche et le plus puissant de la vallée. Le château de la Boual, situé un peu plus bas, appartenait à son frère Pierre et venait confirmer la toute puissance de la famille de Brezon. Quiconque souhaitait traverser la vallée sans encombre devait leur payer un droit de passage ou choisir d’emprunter les routes sinueuses et dangereuses des crêtes environnantes.
Les deux nouveaux venus, forts loqueteux sous leurs vêtements louches, avaient déjà atteint la porte du domaine lorsqu’Amblard remarqua qu’en plus de bonnes cottes et d’épées tout à fait bonnes à servir, l’un d’eux arborait un tabard à l’effigie du Limousin et du royaume d’Angleterre. Le second semblait mal en point et défraichi, la mâchoire anormalement placée et quelque peu pendante.
-Halte-là les gargouilleux! hurla-t-il depuis son promontoire. Restez bien tranquille sans quoi je m’en vais vous occire propre et net! Il brandit vers eux une arquebuse et deux arbalétriers vinrent lui prêter main forte depuis une échauguette.
L’homme au tabard s’avançait déjà, faisant fi des avertissements.
-Mon doux seigneur, répondit-il. Nous ne sommes que deux pauvres hères cherchant logis et bonne chaire sur la route d’Aurillac. Nous requerrons humblement votre protection contre honnête paiement.
Amblard sentant une ruse se profiler ne se laissa pas abuser.
-Qui êtes vous donc pour réclamer mon hospitalité? De vulgaires godons limousins!
Se sentant découvert, trahit par son propre blason, Mérigot sentit la situation lui échapper.
-Je suis Mérigot Marchès, fils d’Emery de Marchès et seigneur de Charlus-Marchès.
-Ainsi donc, messire Marchès, vous osez vous présenter à moi sous votre vrai jour? Vous apprendrez donc que votre réputation vous précède fot-en-cul d’anglois. Je connais fort bien vos méfaits de par les contrés d’Auvergne et c’est cependant que je vous parle que vous venez piller mon domaine? Une fois ma porte ouverte, je tiens pour sûr que vingt de vos houliers saccageront ces lieux.
Mérigot observait l’arquebuse d’Amblard. Il aurait eu dix fois le temps de monter à l’assaut de la bâtisse, de l’écheler et d’abattre son porteur avant que le coup ne soit parti. Les arbalètes étaient en revanche une menace sérieuse. Même sa cotte n’arrêterait pas de bons carreaux perce-maille. Pour le moment, il était préférable de rester hors de portée. Faisant signe à Gauthier de retirer son gantelet du pommeau de son épée, il fixa à nouveau Amblard d’un regard perçant. Cacher leur jeu n’était plus d’aucune utilité.
-Crois-moi petit seigneur de Brezon, je prendrai ton castel sans coup férir. Dors sur tes écus aujourd’hui, car demain, ils seront miens. J’en fais le serment sang-dieu!
Sur ces mots, les chevaux firent demi-tour au grand galop dans un nuage de poussière.
***
Le barrage venait de céder sur les ordres de Mérigot. Des jours qu’ils dominaient le château de la Roche-Servière, travaillant d’arrache pied à creuser des tranchés pour dévier le ruisseau du riailler. En un mot, des milliers de litres d’eau s’écoulaient désormais à toute vitesse en direction du précipice. Toujours assis, il regardait amusé la gigantesque cascade qu’ils venaient de créer.
-Mordieu! s’exclama Gauthier qui venait de la rejoindre. J’espère que ce grippeminaud cousu d’or préfère l’eau à la vinasse.
Mérigot s’esclaffa.
-Oil! Allons-y! Voyons si cet Amblard est toujours aussi fort en gueule.
L’eau s’engouffrait partout à une vitesse sidérante. Une grande cascade venait de surgir depuis le haut de l’immense rocher basaltique et avait surpris la petite garnison du château. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Amblard observait médusé les pierres de soubassement du petit rempart de fortune qui commençait à glisser lentement sous la pression accumulée. De par sa situation à même la roche, la structure n’avait pas de fondations solides et ne tiendrait pas longtemps. Soudainement, le petit donjon s’effondra, écrasant deux malheureux qui tentaient de rejoindre la cour centrale large de quelques mètres.
Comprenant que la situation était désespérée, Amblard rassemblait sa maigre garnison déboussolée.
-Mes hommes avec moi! Nous abandonnons la place, leur somma-t-il la mort dans l’âme.
L’unique sentier était devenu boueux et glissant suite aux écoulements. Manquant de lucidité, ils ne remarquèrent pas immédiatement la bande armée bloquant la route devant eux. Lorsqu’il releva sa tête maculée de boue, le seigneur de Brezon se retrouva face à un cavalier limousin au tabard tristement célèbre.
-Salut à toi baronnet! lança Mérigot. Te voilà fort attrapé et désargenté à présent. Ordonnes à ta troupe de laisser choir leurs armes ou je t’estrille dans l’instant.
Avant même d’avoir donné l’ordre, les restes de la garde d’Amblard déposaient déjà les armes.
-Je vois que tes coqueberts ne font pas montre d’un grand courage, renchérit-il. Cela fait d’eux des hommes plus malins que toi. Hélas, je n’ai point de gros moyen et entretenir ton host me coutera fort cher. Rendez les moi tous morts mes amis!
Sur ces mots, les arbalétriers de Mérigot décochèrent plusieurs traits mortels vers les hommes d’Amblard qui restait désormais seul debout.
-Quant à toi petit seigneur, nous verrons combien d’écus ton frère pourra nous chier pour ta vie. A moins qu’il ne te déconfie? Dans ce cas, nous nous contenterons de ton or.
***
Les sacs d’or et de vaisselle tintaient au rythme des pas de leurs chevaux. Le château de la Boual dans le dos, la bande de routiers remontait la vallée en direction de la griffoul avec Mérigot et Gauthier à leur tête. Le soleil commençait à disparaître derrière eux. L’air était doux et la vallée silencieuse.
Gauthier tira Mérigot de ses pensées.
-Quelle fortune! Nous n’avons point eu guignon en ces contrées. Nous avons plus d’or qu’un prévôt grassouillet. Quelle vergogne pour son frère que d’avoir à payer pour ce misérable bric.
Il ne répondit pas. Comme à son habitude, un léger sourire se dessinait sous son capuchon alors qu’il fixait l’horizon.
-Ou diable irons-nous à présent? reprit-il. Il nous faut maintenant quérir couche et pactis auprès de quelques menuailles. Nos castels de Saint-Nectaire et Charlus sont désormais restitués par engagement avec le comte d’Armagnac…
-Contre écus sonnants et trébuchants, le coupa Mérigot.
-Certes.
-Sois tranquille compagnon. Je conchie le comte d’Armagnac, le comte dauphin d’Auvergne et les autres chiabrenas de leur espèce. J’ai moult ambitions pour notre route. Ainsi j’ai eu vent de quelques places fortes avantageuses et inoccupées où nous trouverons logis. Nous commencerons par le Roc de Vendais.
Plutôt qu’un véritable sourire que ne lui permettait plus sa mâchoire ravagée, Gauthier lui rendit une grimace amusée et approbatrice.
La troupe s’engageait dans un sous bois sur les auteurs de la vallée à la clarté de la lune naissante…
Fin
Mérigot passait machinalement son gantelet sur l’encolure de son cheval. C’était une belle fin d’après-midi printanière. Le vent, pareil au toucher rare et délicat d’un drap de soie venait s’engouffrer dans la vallée cantalienne de Brezon qu’il dominait et lui apportait un sentiment de plénitude grisant.
Son tabard patiné et crasseux reposait sur une cotte de mailles légère et laissait encore entrevoir les armoiries du seigneur de Charlus-Marchès et du limousin. Fils d’Emery de Marchès et de Marguerite d’Ussel, il avait été aux services des messires Thomas de Roux et Goussiers Hélias comme écuyer dès l’âge de dix ans.
En cette époque troublée, ils lui avaient enseigné l’art de monter à cheval, de manier la lance et l’épée et de haïr le royaume de France et son roi Charles V. Le limousin était alors contesté et était proche voisin de la Guyenne sous domination anglaise. Mérigot avait donc tôt fait de prendre le parti du royaume d’Angleterre.
Son visage était jeune mais déjà creusé et marqué par des années de lutte pour la survie. Bien que d’ascendance noble, sur les vingt huit années de son existence, les dix dernières avaient été si intenses qu’il semblait déjà avoir vécu plusieurs vies.
Il esquissait un léger sourire en coin en y repensant. Il tourna la tête et jugea sa troupe de son regard habituel; déterminé et affichant une confiance hautaine et absolue. La dizaine d’homme qui se tenait derrière lui formait une bande de dépravés, sans aucune forme de cohérence. Ils étaient tantôt vêtus d’une cotte, d’une simple tunique, de capuchon mités et pour les plus riches d’entre eux, de pièces d’armures disparates et autres bassinets et barbutes défoncés. Des pillards, des violeurs, des menteurs et des opportunistes. Ils étaient sa famille, sa route, et ce dont il était le plus fier.
Quelques années auparavant, il avait combattu comme capitaine à la tête de chevaliers limousins et de mercenaires à la solde de la couronne d’Angleterre. Il excellait dans la stratégie militaire et tout particulièrement dans l’art de la ruse pour capturer des places fortes et combattre des formations bien supérieures en nombre. Il avait ainsi fait de belles prises comme le château de Mercoeur de la comtesse Dauphine près d’Ardes.
Jusqu’à ce jour où un émissaire était venu du nord annonçant la trêve de Leulinghem entre Richard II et Charles VI. Ses hommes et lui s’étaient alors retrouvés démobilisés et les objectifs militaires s’étaient vite transformés en quêtes d’or et de gloire pour leur propre compte. C’est alors qu’il avait pris la décision de former sa propre compagnie de routiers et d’écumer et semer la terreur en Limousin et Haute-Auvergne, désobéissant ainsi au roi d’Angleterre en refusant de cesser les combats et de restituer les places conquises. Depuis ces fortins, ils pouvaient mener des raides rapides et dévastateurs et réclamer des pactis en échanges de la protection des populations soumises à leur autorité.
Il avait resserré l’emprise sur ses rênes en repensant à cette période exaltante. Il regardait ses hommes s’affairer autour d’un barrage de fortune qu’ils avaient construit de toute pièce. Ils terminaient de renforcer les étais qui maintenaient la structure en place, empêchant l’eau de la rivière de se répandre. Gauthier, son plus fidèle lieutenant donnait ses instructions. Il avait toutes les difficultés à s’exprimer depuis qu’une masse d’arme lui avait fracassé la mâchoire l’année passée, lui laissant systématiquement la bouche entrouverte comme un chien balafré prêt à mordre. Il était comme un frère pour lui. Il lui rappelait Geoffroy tête noire, le plus habile et le plus admirable des chefs routiers qu’il avait rencontré. Doté d’une force incroyable, il avait déjà vu la « testa negra » fendre un homme en deux avec son espadon. Il avait également vu quelles richesses impensables le routier avait rassemblé grâce à ses rapines. Geoffroy avait d’ailleurs tout appris à Mérigot; par exemple, capturer un chevalier ou une noble dame était l’assurance d’obtenir une bonne rançon. Puis un jour de 1378, un carreau d’arbalète avait mis un terme à sa vie dans son fief de Ventadour en Corrèze. C’était ainsi pensa-t-il, la vie d’un routier était souvent courte mais c’était aussi une vie sans barrières, sans limite qu’on ne pouvait se permettre de franchir. En fait, aucune règle ne prévalait en dehors de la force et du poids de l’or.
Mérigot descendit de cheval et vint s’assoir sur le rebord de la falaise. Balançant ses pieds dans le bruit métallique que produisaient ses éperons, il conservait ce même sourire insolent en observant la petite forteresse à flanc du roc juste sous sa position quelques mètres plus bas. Il prenait plaisir à se remémorer les évènements passés.
-Mérigot! la voix gutturale de son lieutenant le tira de ses rêveries. Les hommes sont à tes ordres, tu n’as qu’un mot à dire.
-Allez-y prestement, répondit-il. Son rictus était devenu sinistre.
***
Amblard de Brezon, descendant de la puissante lignée des seigneurs de Brezons observait les deux cavaliers qui remontaient le petit chemin de pierre empruntant la vallée avant de remonter le long de la montagne et qui menait directement à son château de la Roche-Servière. De ce fief semi-troglodytique et imprenable, il avait su affirmer sa position de seigneur le plus riche et le plus puissant de la vallée. Le château de la Boual, situé un peu plus bas, appartenait à son frère Pierre et venait confirmer la toute puissance de la famille de Brezon. Quiconque souhaitait traverser la vallée sans encombre devait leur payer un droit de passage ou choisir d’emprunter les routes sinueuses et dangereuses des crêtes environnantes.
Les deux nouveaux venus, forts loqueteux sous leurs vêtements louches, avaient déjà atteint la porte du domaine lorsqu’Amblard remarqua qu’en plus de bonnes cottes et d’épées tout à fait bonnes à servir, l’un d’eux arborait un tabard à l’effigie du Limousin et du royaume d’Angleterre. Le second semblait mal en point et défraichi, la mâchoire anormalement placée et quelque peu pendante.
-Halte-là les gargouilleux! hurla-t-il depuis son promontoire. Restez bien tranquille sans quoi je m’en vais vous occire propre et net! Il brandit vers eux une arquebuse et deux arbalétriers vinrent lui prêter main forte depuis une échauguette.
L’homme au tabard s’avançait déjà, faisant fi des avertissements.
-Mon doux seigneur, répondit-il. Nous ne sommes que deux pauvres hères cherchant logis et bonne chaire sur la route d’Aurillac. Nous requerrons humblement votre protection contre honnête paiement.
Amblard sentant une ruse se profiler ne se laissa pas abuser.
-Qui êtes vous donc pour réclamer mon hospitalité? De vulgaires godons limousins!
Se sentant découvert, trahit par son propre blason, Mérigot sentit la situation lui échapper.
-Je suis Mérigot Marchès, fils d’Emery de Marchès et seigneur de Charlus-Marchès.
-Ainsi donc, messire Marchès, vous osez vous présenter à moi sous votre vrai jour? Vous apprendrez donc que votre réputation vous précède fot-en-cul d’anglois. Je connais fort bien vos méfaits de par les contrés d’Auvergne et c’est cependant que je vous parle que vous venez piller mon domaine? Une fois ma porte ouverte, je tiens pour sûr que vingt de vos houliers saccageront ces lieux.
Mérigot observait l’arquebuse d’Amblard. Il aurait eu dix fois le temps de monter à l’assaut de la bâtisse, de l’écheler et d’abattre son porteur avant que le coup ne soit parti. Les arbalètes étaient en revanche une menace sérieuse. Même sa cotte n’arrêterait pas de bons carreaux perce-maille. Pour le moment, il était préférable de rester hors de portée. Faisant signe à Gauthier de retirer son gantelet du pommeau de son épée, il fixa à nouveau Amblard d’un regard perçant. Cacher leur jeu n’était plus d’aucune utilité.
-Crois-moi petit seigneur de Brezon, je prendrai ton castel sans coup férir. Dors sur tes écus aujourd’hui, car demain, ils seront miens. J’en fais le serment sang-dieu!
Sur ces mots, les chevaux firent demi-tour au grand galop dans un nuage de poussière.
***
Le barrage venait de céder sur les ordres de Mérigot. Des jours qu’ils dominaient le château de la Roche-Servière, travaillant d’arrache pied à creuser des tranchés pour dévier le ruisseau du riailler. En un mot, des milliers de litres d’eau s’écoulaient désormais à toute vitesse en direction du précipice. Toujours assis, il regardait amusé la gigantesque cascade qu’ils venaient de créer.
-Mordieu! s’exclama Gauthier qui venait de la rejoindre. J’espère que ce grippeminaud cousu d’or préfère l’eau à la vinasse.
Mérigot s’esclaffa.
-Oil! Allons-y! Voyons si cet Amblard est toujours aussi fort en gueule.
L’eau s’engouffrait partout à une vitesse sidérante. Une grande cascade venait de surgir depuis le haut de l’immense rocher basaltique et avait surpris la petite garnison du château. Rien ne semblait pouvoir l’arrêter. Amblard observait médusé les pierres de soubassement du petit rempart de fortune qui commençait à glisser lentement sous la pression accumulée. De par sa situation à même la roche, la structure n’avait pas de fondations solides et ne tiendrait pas longtemps. Soudainement, le petit donjon s’effondra, écrasant deux malheureux qui tentaient de rejoindre la cour centrale large de quelques mètres.
Comprenant que la situation était désespérée, Amblard rassemblait sa maigre garnison déboussolée.
-Mes hommes avec moi! Nous abandonnons la place, leur somma-t-il la mort dans l’âme.
L’unique sentier était devenu boueux et glissant suite aux écoulements. Manquant de lucidité, ils ne remarquèrent pas immédiatement la bande armée bloquant la route devant eux. Lorsqu’il releva sa tête maculée de boue, le seigneur de Brezon se retrouva face à un cavalier limousin au tabard tristement célèbre.
-Salut à toi baronnet! lança Mérigot. Te voilà fort attrapé et désargenté à présent. Ordonnes à ta troupe de laisser choir leurs armes ou je t’estrille dans l’instant.
Avant même d’avoir donné l’ordre, les restes de la garde d’Amblard déposaient déjà les armes.
-Je vois que tes coqueberts ne font pas montre d’un grand courage, renchérit-il. Cela fait d’eux des hommes plus malins que toi. Hélas, je n’ai point de gros moyen et entretenir ton host me coutera fort cher. Rendez les moi tous morts mes amis!
Sur ces mots, les arbalétriers de Mérigot décochèrent plusieurs traits mortels vers les hommes d’Amblard qui restait désormais seul debout.
-Quant à toi petit seigneur, nous verrons combien d’écus ton frère pourra nous chier pour ta vie. A moins qu’il ne te déconfie? Dans ce cas, nous nous contenterons de ton or.
***
Les sacs d’or et de vaisselle tintaient au rythme des pas de leurs chevaux. Le château de la Boual dans le dos, la bande de routiers remontait la vallée en direction de la griffoul avec Mérigot et Gauthier à leur tête. Le soleil commençait à disparaître derrière eux. L’air était doux et la vallée silencieuse.
Gauthier tira Mérigot de ses pensées.
-Quelle fortune! Nous n’avons point eu guignon en ces contrées. Nous avons plus d’or qu’un prévôt grassouillet. Quelle vergogne pour son frère que d’avoir à payer pour ce misérable bric.
Il ne répondit pas. Comme à son habitude, un léger sourire se dessinait sous son capuchon alors qu’il fixait l’horizon.
-Ou diable irons-nous à présent? reprit-il. Il nous faut maintenant quérir couche et pactis auprès de quelques menuailles. Nos castels de Saint-Nectaire et Charlus sont désormais restitués par engagement avec le comte d’Armagnac…
-Contre écus sonnants et trébuchants, le coupa Mérigot.
-Certes.
-Sois tranquille compagnon. Je conchie le comte d’Armagnac, le comte dauphin d’Auvergne et les autres chiabrenas de leur espèce. J’ai moult ambitions pour notre route. Ainsi j’ai eu vent de quelques places fortes avantageuses et inoccupées où nous trouverons logis. Nous commencerons par le Roc de Vendais.
Plutôt qu’un véritable sourire que ne lui permettait plus sa mâchoire ravagée, Gauthier lui rendit une grimace amusée et approbatrice.
La troupe s’engageait dans un sous bois sur les auteurs de la vallée à la clarté de la lune naissante…
Fin